dimanche 29 juin 2008

Les escaliers extérieurs

Nous n'allons nul part. Dans un moment de faiblesse, je me suis perdu. J’ai écouté beaucoup trop de ressentiments sans en peser les conséquences. Je voulais rejeter le maximum de mon vécu, l’enterrer comme l’on enterrerai un oiseau mort dans une partie de la forêt. L’oiseau se transformerai alors en engrais pour donner naissance à de merveilleuses plantes sauvages, parfois aux vertus de guérison, parfois à la beauté et au parfums enchanteurs.

Remontant l’escalier extérieur fait de traverses en bois prises sur d’anciennes lignes ferroviaires et éclairé uniquement par les petites diodes bleues donnant une vision surnaturelle à la montée, j’ai eu un choc qui m’a porté dans les tréfonds de ma mémoire. Des instants oubliés, enfouis, entassés dans un coffre fermé par une fermeture que je croyais à toutes épreuves étant constituée de mille cadenas et serrures en acier dont les clefs ont été avalées et digérées.

Le choc fut si violent que je me suis fait projeté dans un gouffre profond, dans lequel se mesurait la profondeur en mes années passées qui défilaient à toute vitesse. C’était un peu comme lorsque l’on meurt, mais au lieu de m'effondrer, je me suis transformé en marteau, en pince monseigneur qui frappe et découpe alors chaque verrous de mon coffre. Se fut alors Pandore. Cette boîte maléfique, prometteuse de merveilles, mais n’ayant plus d’espoir.

Il faisait nuit noir. La lune avait fini de décroître et était cachée derrière les nuages. Je passai par l’atmosphère que je voyais à l’abris depuis la fenêtre de mon atelier; derrière les lumières, le néant. C’est ce même néant qui m’engouffra après le choc qui me propulsa à la vitesse grand v de mon abnégation, le rejet, le refus.

J’aurai aimé croire que je pouvais simplement vivre ces instants sans me prendre aux mauvais jeux pervers des mauvaises pensées. Ces instants totalement dédiés à la création; enlever les contraintes de la ville pour laisser surgir les inspirations. Mais bien malgré moi, les tourments dans ce silence assourdissant ont pris le dessus.

En réalité, le néant est constitué d’une forêt à coté et en bas de l’escalier. En haut, le chemin d’accès à l’habitation longe un champs. Depuis quelque temps, des bûcherons coupent tous les arbres malades, mais aussi ceux qui sont en trop, qui bouchent la vue et font une impression d’encaissement, d’engorgement au chalet. N’ayant pas les moyens de payer le déblaiement des branches, elles sont laissées sur le sol pour qu’un jour elles se transforment en humus. La vue est retrouvée, mais le sol jonché de feuilles et des cadavres de arbres devient impraticable.

C’est dans cet amas de branches que je me suis réveillé. Dans le noir, attaché au sol. La gorge serrée non seulement par une branche, mais aussi par l’angoisse. Je m’essaie à pousser un cris. Rien ne sort, juste un petit frémissement d’air qui ne suffirait pas à éteindre une bougie d’anniversaire. Plus je me débats, plus les branches se resserres. Des souvenirs de films, comme Evil Dead, me viennent en tête. Le corps traîné, enserré et la personne meurt. Dans le film, elle est même possédée. Même si je ne crois pas en cela, car je n’ai rien vu me sauter dessus et ne pense pas que cette forêt soit habitée et que personne n’a trouvé un livre des morts avec des incantations pour les faire revenir à la vie.

Il fait si noir que je ne parviens même pas à voir mon corps. Je suis comme aveugle et pense même que je le suis devenu. Le néant extérieur à pris place de mes yeux et mes orbites sont comme des trous absorbant l'environnement sans me le transmettre. Par contre mon ouïe fonctionne très bien et c’est bien peu pour me rassurer car tout proche de moi, quelque chose marche, renifle et émet de petits grognements.

C’est alors qu’une autre phase de terreur se met en marche; le sang quitte ma tête. Je ne perds pas connaissance, mais mes membres se paralysent, me rendant insignifiant, impuissant, un petit tas de chair qui va se faire dévorer par une bête, un animal qui aura su m'assommer et m'emprisonner dans son garde-manger improvisé par nos travaux.

La chose s’approche. Je la sens renifler mes jambes, remonter le long de celles-ci et s’arrêter à mon entrejambe. Ma bouche s’ouvre à ce moment-là et je pense ”non pas ma virilité, pas ça”. Je sens une pression sur mes parties, allant, venant à un rythme certain qui devient presque agréable. Elle va me faire une pipe avant de me dévorer, peut-être un moyen d'attendrir la viande. Mais non, elle poursuit sa montée sur mon ventre, tout doucement, prenant bien le temps de s'imprégner de mes saveurs. Je sens mon t-shirt s’imbiber de bave. Elle doit être si affamé qu'elle déverse déjà sa bile sur mon corps. Elle arrive à hauteur de mon visage. Mon coup, mon menton, ma bouche. Je sens son haleine fétide envahir toute ma bouche que je ne peux fermer. Cette odeur pénètre tout mon corps me faisant tourné ma tête. C’est l’odeur de la mort, de l’enfer.

Je sens alors sur mon nez ses dents. Elle va me croquer par le nez pour ensuite me dévorer la tête! A ce moment-la, je peux enfin pousser un cris tout en me libérant une main tenant fortement une branche. Je crie et frappe la bête. Je la sens se dressé, hurlant. Son hurlement me percent les oreilles tant il est violent. Il résonne non seulement dans ma tête encore aujourd’hui, mais aussi dans la forêt. Tous les habitants aux alentours ont du entendre. Sûre qu’ils vont rappliquer. En tout cas, mon cri et ma branche furent efficace car je l’entends décamper à tout allure.

Retrouvant peux à peux mes esprits, je parviens à me désincarsérer de ce amas de branches. Retrouvant les lumière de l’escalier, je le franchis à quatre pattes, suant, respirant comme un fou. J’arrive vers la porte, la lumière à détecteur s'enclenche. J’entends son cris dans le champs derrière-moi. Va-t-elle faire demi tour. Putain! pas de mauvais film, je ne dois pas paniquer. Les clefs dans ma poche, j’ouvre la porte et la referme avec précipitation.